Editorial

Liste de référence des Odonates de France métropolitaine

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Référence bibliographique : Opie-odonates (2024). Liste de référence des Odonates de France métropolitaine. Martinia, 38 (7) : 53-56
Revue Martinia -

L’Odonatologie, comme toutes les disciplines des sciences de la nature, est en constante évolution. Les découvertes de nouveaux taxons ou l’observation de taxons sur des aires géographiques où ils n’étaient pas connus, les progrès de la génétique et de la phylogénie imposent la mise à jour régulière des listes d’espèces. L’Opie-odonates a publié en 2021 l’actualisation de la liste de référence des Odonates de France métropolitaine de la Société française d’Odonatologie (Boudot & Dommanget, 2015). En 2023, le changement de genre pour l’Aeschne isocèle (Krieg-Jacquier, 2024) exige une nouvelle mise à jour. Il ne s’agit pour les rédacteurs ni de faire du neuf à tout prix ni de rester figés dans le passé, mais de faire des choix argumentés qui suivent les progrès des connaissances comme celui des changements de répartition géographique des taxons ou de leur position phylogénétique. De plus, la prise en compte grandissante des Odonates dans les politiques environnementales – comme lors du précédent plan national d’actions en faveur des Odonates (Dupont, 2010) et le plan national d’actions en faveur des libellules en cours (Houard et al., 2020), ainsi que leur meilleure connaissance de la part du grand public via des actions de sensibilisation par exemple, nécessitent la mise en place de référentiels communs qui passent par l’usage unifié d’un champ lexical et d’un vocabulaire bien défini. Il nous a ainsi semblé nécessaire d’envisager une relecture des noms français associés aux binoms scientifiques. Pour cette nouvelle révision nous avons supprimé le pluriel pour l’Agrion à lunule afin de se conformer à la description originale faisant référence à la tache en forme de croissant en partie apicale du deuxième segment. Nous sommes également revenus à la proposition en usage jusqu’en 2010 de Leste dryade, Leste des bois ne correspondant ni à la description du découvreur ni à un éventuel habitat exclusif de l’espèce. Une autre modification, mineure, a consisté à supprimer les espaces dans les initiales du prénom de Otto Friedrich Müller pour correspondre à la graphie utilisée dans les autres pays. Nous maintenons à la fois les initiales du prénom pour le différencier des autres descripteurs ayant le même patronyme, ainsi que l’orthographe originale de son nom.

Taxons

L’actualisation ou non de la dénomination de certains taxons dans la liste est basée sur la pertinence du taxon. Certaines sous-espèces ont été supprimées (par exemple chez Calopteryx splendens et chez Cordulegaster boltonii) lorsque leur invalidité faisait l’objet d’un large consensus dans la bibliographie récente. D’autres, comme Orthetrum coerulescens anceps, ont été maintenues car de nouvelles études sont nécessaires (Mauersberger, 1994). Les espèces qui n’ont plus été ou rarement observées depuis une longue période ont néanmoins été conservées, car elles appartiennent, dans l'état actuel des connaissances, à la faune holocène métropolitaine. Par exemple, Sympecma paedisca, vraisemblablement disparu depuis 1962 sur son seul site connu, en Isère, nous fait considérer l’espèce comme “non revue” sur le territoire métropolitain depuis 1970 mais demeure cependant dans la liste. En effet, la redécouverte de Nehalennia speciosa en France en 2007 (Dehondt et al., 2009) puis sa possible redisparition après 2018 (Dehondt, 2022)  ou encore le retour de certaines espèces sur des aires géographiques dont elles étaient présumées disparues, comme Stylurus flavipes et Ophiogomphus cecilia sur le bassin hydrographique du Rhône par exemple (Grand et al., 2011 ; Lambert et al., 2012), nous incitent à être prudent quant à la notion d’extinction et à garder le témoignage d’espèces présumées disparues, à l’aune de nos connaissances actuelles.

Noms français

L’Opie-odonates, dans la continuité de la Société française d’Odonatologie, souligne que les noms scientifiques (régis par le Code international de nomenclature zoologique) doivent être utilisés en priorité par tous les odonatologues, qu’ils soient professionnels ou amateurs, spécialistes, naturalistes dans tous les textes destinés à être diffusés auprès des personnes intéressées ou à être publiés.

L'utilisation des noms français est indiquée dans le cadre d'opérations de sensibilisation et de vulgarisation (essentiellement vers le grand public). Il n’existe pas de noms vernaculaires (du latin vernaculus, « du pays, indigène, national », noms issus de la tradition populaire) au sens propre en France pour les différentes espèces d’Odonates. Il n’y a pas non plus de liste de noms normalisés comme pour l’ornithologie (Lepage, 2021). Tous les noms français sont issus de la littérature et varient donc d’un auteur à l’autre. Savard (1987) présente, pour le Québec, les différences entre les noms donnés aux taxons en dehors de la nomenclature scientifique binominale, c’est-à-dire entre les noms vernaculaires et les noms vulgaires.

Les noms français proposés ici reprennent, dans la mesure du possible et avec quelques modifications mineures, ceux publiés par Robert (1958). Cet auteur est le premier à avoir utilisé de manière avisée des noms français dans une publication du XXe siècle en s’inspirant, en partie, des écrits de Selys-Longchamps (1850).

Nous avons fait le choix de ne pas introduire de nouveaux noms, ceux-ci étant susceptibles de créer de nouvelles difficultés, sauf si le taxon n’avait pas de nom français comme Trithemis kirbyi, ou lorsque nous avons souhaité une simplification comme avec Lestes macrostigma en retenant le groupe épithète “à grand stigmas”, plus court et plus conforme au nom binominal. Nous avons également choisi de ne pas suivre la traduction de Philippe Jourde (Dijkstra & Lewington, 2007 ; Dijkstra, et al., 2021) par souci de cohérence avec les publications antérieures de la Société française d’Odonatologie. De plus, seuls les taxons du territoire métropolitain sont abordés dans cette liste. Des noms français ou indigènes pour les odonates ont été proposés ou existent déjà dans certains des DROM-COM (départements-régions d'outre-mer et collectivités d'outre-mer). Nicolas (2023) et Dijkstra & Cohen (2021) proposent des noms français pour Mayotte et pour les îles de l’ouest de l’océan Indien, mais il n’y a pas de démarche en ce sens pour la Guyane française (Rochas et al., à paraître).

La question d’attribuer un nom français superposable au nom binominal s’est posée lors de la rédaction de la liste actualisée en 2021. Nous réaffirmons ici que le nom binominal est la référence pour tous les écrits présentant un caractère scientifique (publications, rapports, études, comptes rendus, etc.). Comme nous l’avons rappelé, les noms scientifiques doivent être utilisés en priorité. Dès lors, l’utilisation des noms français reste marginale et à privilégier dans la communication à destination du grand public. Dans ce cadre, une trop grande complexité des noms français, comme la différenciation systématique des genres, ou encore la traçabilité des noms en fonction de l’évolution des noms scientifiques, semble peu pertinente pour une dénomination destinée aux néophytes. On retrouve une logique similaire dans d’autres disciplines naturalistes. Par exemple, en botanique, les noms français ont gardé leur caractère vernaculaire et folklorique. Pour s’en convaincre, on lira les 24 noms français différents de plantes, d’espèces et de familles diverses, utilisés en botanique et incluant le mot rose (Rose, 2024). Ou encore, concernant l’ornithologie et les noms français d’oiseaux, on rappellera que les hirondelles de France métropolitaine regroupent sous le nom français Hirondelle des genres différents. D’autre part, entre les différentes éditions du Guide Ornitho (Mullarney et al., 1999 et rééditions) ou sur le site Avibase (Lepage, 2024), le nom de genre français des différentes mésanges n’a pas suivi les changements de genre des noms scientifiques.

C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas retenu la différenciation ou le regroupement des genres en français. Ainsi, les Calopteryx restent des Caloptéryx et la plupart des Coenagrionidae et les Platycnemididae demeurent des Agrions. Seule entorse à cette méthode, l’Agrion de Vander Linden, Erythromma lindenii, que nous avons rebaptisé Naïade afin d’être en accord avec les deux autres espèces de notre faune métropolitaine du genre Erythromma. Cette exception s’explique par l’évocation d’un imaginaire associé au terme Naïade (c'est-à-dire une divinité féminine des rivières et des sources) intéressant dans le contexte odonatologique et qui peut de plus faire écho auprès du grand public. A contrario, le nom de genre Libellule a été utilisé et réutilisé pour des taxons qui ne sont pas du genre Libellula. Il nous a semblé ici que Libellule écarlate et Libellule globe-trotter étaient des noms plus évocateurs et plus simples à retenir que Crocothémis, ou Pantale pour le grand public. Le même raisonnement a été appliqué aux Aeschnidés dont seuls les genres français Aeschne et Anax ont été conservés. Les révisions successives de la place de Macromia et Oxygastra (un temps dans les Libellulidae, puis dans les Corduliidae, aujourd’hui dans une famille à part ou incertae sedis) ne nous a pas semblé de nature à exiger un genre français différent de Cordulie, largement utilisé.

Pérennité des noms français

Comme nous l’évoquions en introduction, les découvertes de nouveaux taxons ou l’observation de taxons sur des aires géographiques où ils n’étaient pas connus, ainsi que les progrès de la génétique et de la phylogénie imposent la mise à jour régulière des listes d’espèces avec leur nom binominal. Quelles conséquences en tirer pour les noms français ? Comme évoqué plus haut, on pourrait envisager une modification lorsqu’un changement intervient dans la nomenclature, mais on peut supposer que cette instabilité continue ne ferait que désorienter le public auquel ces noms sont destinés. L’idée, rappelons-le, n’est pas de proposer un nom français qui remplace le nom scientifique, mais un nom que le grand public (et donc en dehors des naturalistes) puisse s’approprier, et assurer une certaine pérennité. Par exemple, sur un panneau d’information de travaux de restauration d’un cours d’eau, l’Agrion de Mercure sera facilement adopté par le grand public, sans qu’il faille envisager de le renommer le jour où, après une hypothétique étude scientifique, son nom binominal viendrait à changer. Le nom français garderait donc un statut équivalent au nomen protectum de la taxinomie. Par ailleurs, les noms français ne devant être utilisés que pour la vulgarisation, ils n’ont par conséquent pas vocation à être attribués aux espèces non présentes sur les territoires où le français est en usage. On retiendra l’exemple de Askew (2004) qui, dans son ouvrage sur la faune européenne, ne mentionne des noms anglais que pour les espèces présentes au Royaume-Uni. Cela nous paraît être une limite raisonnable à l’attribution des noms français. On ne peut que regretter la tendance anglo-américaine à attribuer des noms anglais à l’ensemble des espèces du globe 1 et à généraliser leur usage dans les échanges où le nom binomial n’est pas toujours mentionné. Il arrive même parfois qu’un même nom anglais recouvre plusieurs espèces différentes 2. Ces éléments deviennent par essence inaccessibles au lecteur non initié à l’odonatofaune de la zone géographique considérée.


(1) Phoenix est ainsi attribué à Pseudolestes mirabilis une espèce endémique de l’île d’Hainan (Chine) par Reels (2008), où l’auteur explique son choix. Cette dénomination est reprise dans Paulson (2019).

(2) Ainsi « Common scarlet » peut-il renvoyer à Crocothemis servilia ou C. erythraea. De même « Common clubtail » peut faire référence à Gomphus vulgatissimus ou à Ictinogomphus rapax selon le continent.

Remerciements

Le groupe Opie-odonates tient à remercier chaleureusement Jean-Pierre Boudot pour sa relecture attentive et les compléments qu’il a apportés à ce travail. L'Opie-odonates remercie également les membres qui ont activement pris part à l'actualisation de cette liste : Xavier Houard, Raphaëlle Itrac-Bruneau, Martin Jeanmougin, Samuel Jolivet, Régis Krieg-Jacquier (coordination), Philippe Lambret, Marie Lamouille-Hébert, Bastien Louboutin, Bertrand Piney, Alexandre Ruffoni et Cédric Vanappelghem.

Bibliographie

Askew, R. R. (2004). The dragonflies of Europe. Harley Books, 308 p.

Boudot, J.-P. & Dommanget, J.-L. (2015). Liste de référence des Odonates de France métropolitaine. Société française d’Odonatologie, Bois-d’Arcy, 4 p.

Dehondt, F. (2022). Une déesse libellule a disparu de sa tourbière. Le Monde, édition du 25 décembre. https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/12/25/une-deesse-libellule-a-disparu-de-sa-tourbiere_6155662_1650684.html

Dehondt, F., Mora, F. & Ferrez, Y. (2009). Redécouverte de Nehalennia speciosa (Charpentier, 1840) en France (Odonata, Zygoptera, Coenagrionidae). Martinia, 26 (1/2) : 3-8.

Dijkstra, K. D. B., & Cohen, C. (2021). Libellules et Demoiselles de Madagascar et des Iles de l’Ouest de l’Océan Indien / Dragonfiies and Damselflies of Madagascar and the Western Indian Ocean Islands. Fondation Vahatra. 194 p.

Dijkstra, K.-D.B. & Lewington, R. (2007). Guide des Libellules de France et d'Europe. Delachaux et Niestlé, 320 p.

Dijkstra, K-D.B., Schröter, A. & Lewington, R. (2021). Guide des Libellules de France et d'Europe. Delachaux et Niestlé, 336 p.

Dupont, P. (coord.) (2010). Plan national d’actions en faveur des Odonates 2011-2015. Office pour les insectes et leur environnement / Société française d’Odonatologie – Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer, 170 p.

Grand, D., Pont, B., Krieg-Jacquier, R., Barlot, R., Feuvrier, B., Bazin, N., Biot, C., Deliry, C., Gaget, V., Michelot, J.-L. & Michelot, L. (2011). Gomphus flavipes (Charpentier, 1825) redécouvert dans le bassin hydrographique du Rhône (Odonata, Anisoptera : Gomphidae). Martinia, 27 (1) : 9-26.

Houard, X. (coord.) (2020). Plan national d’actions 2020-2030 en faveur des libellules – Agir pour la préservation des odonates menacés et de leurs habitats. Office pour les insectes et leur environnement – DREAL Hauts-de-France – Ministère de la transition écologique, 66 p.

Krieg-Jacquier R. (2024). Isoaeschna isoceles (O.F. Müller, 1767) un nouveau nom binominal pour l’Aeschne isocèle (Odonata : Aeshnidae). Martinia, 38(5) : 46-48.

Lambert, J.-L., Neveu, G., Millard, R. & Genin, C. (2012). Première preuve de l'indigénat d'Ophiogomphus cecilia (Fourcroy, 1785) dans le Jura Franc-Comtois (Odonata, Anisoptera : Gomphidae). Martinia, 28 (1) : 47-56.

Lepage, D. (2024). France liste d’oiseaux - Avibase
https://avibase.bsc-eoc.org/checklist.jsp?region=FR consulté le 26 août 2024.

Mauersberger, R. (1994). Zur wirklichen Verbreitung von Orthetrum coerulescens (Fabricius) und O. ramburi (Selys) = O. anceps (Schneider) in Europa und die Konsequenzen für deren taxonomischen Rang (Odonata, Libellulidae). Deutsche Entomologische Zeitschrift, 41 : 235-256.

Mullarney, K., Svensson, L., Zetterström, D. & Grant, P.J., (1999). Le guide ornitho. Delachaux et Niestlé, 401 p.

Nicolas, V. (2023). Libellules et Demoiselles de Mayotte. Kinkirga. 278 p.

Opie-odonates (2021). Liste de référence des Odonates de France métropolitaine. Martinia, 35 (5) : 23-26.

Paulson, D. (2019). Dragonflies and Damselflies. Ivy Press, 224 p.

Reels, G. (2008). The Phoenix Damselfly (Pseudolestes mirabilis) of Hainan Island, China. Agrion, 12 : 44-45.

Robert, P.-A. (1958). Les Libellules (Odonates). Delachaux & Niestlé, 364 p.

Rose. (2024). Wikipédia, l'encyclopédie libre. https://fr.wikipedia.org/wiki/Rose#Botanique consulté le 26 août 2024.

Savard, M. (1987). Vers l'établissement d'une nomenclature française des insectes du Québec. Bulletin de l'entomofaune, 2 : 3-4.

Selys-Longchamps, E. (de) 1850. Revue des odonates ou libellules d'Europe. Mémoires de la Société royale des sciences de Liège, VI, 1re série, Bruxelles et Leipzig, Roret, Paris, 408 p. + 11 planches.